Harcèlement moral au travail : existe-t-il un profil psychologique chez les harceleurs ?
Article de Mariane du 14 novembre 2024
Pour prévenir le harcèlement moral, l’idée de dresser un « profil type » du harceleur, à la manière des analyses criminologiques de « profilers » dans les films, peut paraître séduisante. Cependant, cette approche simpliste comporte des risques de dérives stigmatisantes. Plusieurs études montrent d’ailleurs qu’il n’existe aucune corrélation entre le niveau d’étude et des comportements de harcèlement ; de même, hommes et femmes sont presque également concernés par cette pratique illégale. En matière de harcèlement, le genre ne joue pas.
Bien que certains traits de personnalité puissent être associés au harcèlement, ils ne suffisent pas à en expliquer la complexité. Celle-ci rappelle les principes de l’épigénétique, qui étudie l’influence de l’environnement sur l’expression des gènes : le harcèlement moral ne se réduit pas à des caractéristiques individuelles figées, mais découle souvent d’un environnement de travail propice à des comportements abusifs et qui révèle aussi certains troubles de la personnalité.
Le toujours plus
Dans certaines organisations où la performance est érigée en unique critère de succès, les comportements autoritaires et agressifs tendent à être valorisés ou, à tout le moins, tolérés. Depuis plusieurs années, la sélection des cadres dirigeants s’effectue en fonction de leur capacité à imposer un rythme de travail intense, on parle même pour plusieurs dirigeants de « pathologie de la performance ».
Cela sans prendre en compte le bien-être des collaborateurs. Cette absence de considération pour la dimension humaine du travail s’avère un terrain fertile pour le développement de comportements toxiques.
Une organisation qui impose des exigences excessives, des objectifs démesurés et parfois sans réels moyens pour les atteindre, ou qui entretient une hiérarchie oppressive peut générer des comportements même chez des individus bien intentionnés, les amenant à des attitudes de contrôle et de pression qu’ils n’auraient pas adoptées autrement.
L’intentionnalité n’étant pas requise pour caractériser le harcèlement, ils peuvent faire l’objet de poursuites judiciaires. En effet, le code du travail précise dans son article L 1152-1 « aucun salarié ne doit subir des agissements répétés qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits, à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».
Par ailleurs dans le secteur des services en particulier, les organisations modernes sont devenues matricielles : on est passé d’une structure verticale avec des repères clairs pour chacun à une organisation transversale où chaque salarié suit plusieurs dossiers et rend des comptes à plusieurs managers. Les compétences demandées varient d’un projet à l’autre, rendant l’adaptation constante et parfois éreintante.
Un test simple révèle cette complexité : dix cadres occupant le même poste décriront différemment leurs fonctions, montrant une disjonction entre postes et responsabilités réelles. Le management intermédiaire peine à gérer ces interfaces floues qui donnent lieu à frictions voire à des conflits souvent analysés a travers le prisme du harcèlement.
Le rôle des DRH qui ont perdu en fonction de régulation et qui peinent désormais à demeurer « les gardiens du long terme » ne facilite pas la répression de ces effets délétères, l’absence de soutien psychologique et de gestion des émotions aggravent cette situation. Dans ce contexte de stress chronique permanent, le harcèlement peut vite émerger.
Quand s’alerter ?
Quels sont les traits de caractère qui doivent malgré tout alerter ? Bien que l’organisation soit essentielle, certains traits de caractère peuvent indiquer des comportements à risque. Ces traits ne prouvent pas le harcèlement en soi, mais dans un environnement de travail tendu, ils peuvent évoluer en comportements abusifs.
Les individus ayant un besoin compulsif de dominer et de contrôler leur entourage sont plus susceptibles d’adopter des comportements harcelants, surtout sous forte pression. Ce besoin excessif de contrôle peut se traduire par du micromanagement et de la manipulation. Le manque d’empathie est également fréquent chez les personnes harcelantes, qui voient essentiellement leurs collègues comme les moyens d’atteindre leurs propres objectifs, ignorant les besoins et émotions d’autrui, et minimisant l’impact de leurs actions.
Les personnes harcelantes montrent souvent une faible tolérance aux obstacles et perçoivent la réussite des autres comme une menace, ce qui peut entraîner des comportements impulsifs et destructeurs. La jalousie les pousse quelquefois à adopter des attitudes agressives ou possessives pour préserver leur pouvoir.
Certains individus privilégient des interactions superficielles et évitent les engagements profonds, centrant leurs relations sur leurs propres intérêts. Ils peuvent manipuler autrui pour atteindre leurs objectifs, ce qui les rend peu fiables.
Enfin, une gestion émotionnelle difficile conduit communément à des réactions disproportionnées face aux difficultés ou à la pression, se traduisant par des comportements agressifs ou destructeurs envers les autres et parfois envers eux-mêmes.
Ces traits ne sont pas synonymes de harcèlement moral, mais ils constituent des signaux d’alerte. Le contexte organisationnel et les dynamiques relationnelles peuvent en effet aider à révéler des comportements réellement harcelants.
Comment se protéger ?
Pour prévenir le harcèlement moral, il est crucial de rester attentif aux comportements individuels et au fonctionnement de l’organisation. Le développement d’une culture d’équipe où chacun se sent écouté et respecté constitue une première barrière contre le harcèlement. Instaurer un environnement bienveillant, qui valorise le bien-être des employés et forme le management à la communication non violente, crée une protection solide et favorise la réussite à long terme.
Cela implique de promouvoir la communication, de soutenir émotionnellement les employés et de faciliter l’accès à des médiateurs en cas de conflit. Intervenir dès les premières tensions aide à prévenir leur évolution en harcèlement. Les dispositifs de médiation permettent également aux employés de signaler des comportements préoccupants sans crainte de représailles, tandis que l’intervention d’un expert externe, si possible habilité par le ministère du Travail, aide en tant que tiers préventeur à désamorcer les tensions en toute confidentialité, favorisant ainsi une expression libre et constructive des personnes concernées.
La prévention du harcèlement moral repose sur une approche globale : promouvoir un environnement sain et respectueux, sensibiliser aux risques et observer les dynamiques de pouvoir. En somme, l’essentiel pour prévenir le harcèlement réside dans une combinaison de respect humain et de pratiques organisationnelles saines, créant un climat où chacun peut s’épanouir sans crainte de comportements abusifs.